Partons de ce constat simple : une recherche google avec les mots « femmes » et « violence » nous ouvre tout un champ d’articles dans lesquels la femme est la victime. Heureusement, la violence des femmes est l’objet de plus en plus d’articles et de réflexions, l’ouvrage Penser la violence des femmes de Coline Cardi et Geneviève Pruvost faisant régulièrement figure de référence.

Dans un article de La Déferlante n°3, septembre 2021 à propos de ce livre, Coline Cardi explique que ce n’est « pas tant un tabou qu’un discours, sans cesse renouvelé, qui rend impossible et impensable cette violence des femmes. » Cette violence est l’objet soit d’une invisibilisation, soit d’une surreprésentation pour en faire des monstres ou des héroïnes.

C’est cette affiliation au monstre qui nous intéresse aujourd’hui et plus particulièrement à la représentation de la violence des personnages féminins surnaturels. Mais alors, pourquoi la violence des femmes est-elle l’apanage des femmes surnaturelles et doit-on voir dans cette forme de représentation une alternative positive à la doxa ?

Une violence hors normes

Qui dit violence des femmes dit pulsions « hors normes ». La femme violente transgresse une norme de genre, une femme étant par nature douce et passive, par opposition à l’homme. On retrouve encore ce caractère antinomique, les attributs de l’homme définissant en miroir ceux de la femme. La violence étant un attribut masculin, une femme faisant usage de la violence échappe à la norme.

« Si penser la violence des femmes paraît difficile dans un univers culturel aussi bien délimité, en termes de stéréotypes genrés, que le nôtre, cette violence est pourtant bien mise en scène dans l'imaginaire, et ce dès les textes fondateurs de la culture occidentale. Que ce soit dans la mythologie gréco-romaine ou dans les religions dérivées de la Bible, la place de la femme est toute trouvée : allant d'un bout à l'autre du spectre axiologique, ange et démon se débattent. Les uns ont les Parques, les Furies, les Ménades ; les autres ont Lilith, les succubes, les sorcières. »

Coline Cardi et Geneviève Pruvost, « La violence des femmes saisie par les mots. « Sorcière », « Tricoteuse », « Vésuvienne », « Pétroleuse » : un continuum toujours vivace ? » dans Penser la violence des femmes, 2012

L’imaginaire collectif identifie assez spontanément un homme violent à un « monstre ordinaire » quand une femme violente s’apparente à une déesse au courroux terrible, probablement avec des serpents à la place des cheveux… Et en effet, si on cherche des représentations de la violence des femmes, on trouve plus volontiers des exemples de femmes surnaturelles, par opposition à la femme normée, car « l'une ne se pense pas sans l’autre ».

QUEL REGARD SUR LA VIOLENCE DES FEMMES SURNATURELLES ?

Dans son mémoire de 2014 sur La représentation de la violence chez les personnages féminins dans les tragédies lyriques de Quinault et Lully, Geneviève Brousseau Rivet étudie la représentation des personnages féminins dans leur rapport à la violence et « cherche à déterminer si, par leur liberté formelle, les premiers opéras français ont pu promouvoir une image plus libre et plus forte de la féminité que celle véhiculée par la doxa. » Pour cela, elle analyse le rapport à la violence des mortelles puis des surnaturelles. Son hypothèse de départ postule que les personnages merveilleux permettent de représenter des figures féminines plus variées, échappant aux règles sociales, en l’occurence des femmes fortes et indépendantes qui ont plus de latitudes et qui s’émancipent du discours normatif.

Là encore, les femmes merveilleuses s’opposent aux femmes mortelles. Là où les mortelles sont passives et subissent la violence, les personnages merveilleux sont actives et l’engendre. Les mortelles sont faibles et impuissantes alors que la violence des femmes surnaturelles est amplifiée par le recours au merveilleux. Mais à l’issue de son analyse, Geneviève Brousseau Rivet constate que « Les dénouements des tragédies lyriques invalident donc la violence et l’agentivité féminine en détournant, malgré toute leur puissance, la finalité et la légitimité des actions entreprises par les femmes surhumaines. » Cet échec minimise et même discrédite la puissance de leur action. Par ailleurs, leur violence apparaît démesurée au vue du résultat, contribuant à façonner une image de femmes monstrueuses et cruelles, faisant un usage irraisonné de la violence.

Par rapport aux femmes mortelles, l’accomplissement de la violence des femmes surnaturelles apparaît dès lors comme condamnable et à ne pas reproduire. Et l'auteure de conclure :

« La représentation du merveilleux est un piège, un espace apparent de liberté, puisqu’il renforce les conceptions admises de normes et de nature. Ces notions de normes, de nature et de genres demeurent responsables aujourd’hui encore d’une stigmatisation de la violence féminine. Sans glorifier ou valoriser la violence de qui que ce soit, nous croyons que cette distinction entre violence masculine et violence féminine est inhérente aux inégalités hommes-femmes qui sévissent dans plusieurs sociétés, sinon la majorité. »

Cette opposition entre femmes normées et femmes surnaturelles, les unes passives, les autres indépendantes et violentes, se retrouve dans la culture populaire comme le montre les dessins animés de Disney entre 1937-1989 : de Blanche-Neige à La Petite Sirène en passant par Cendrillon. Dans ces dessins animés, les femmes violentes (sorcières, marâtres, tyrans…) apparaissent clairement comme des contres-modèles. Là encore, seuls les hommes se montrent aptes à faire un juste usage de la violence.

MONSTRE UN JOUR, MONSTRE TOUJOURS

Ce caractère excessif qu’on pourrait associer au surnaturel se retrouve en fait dans les représentations des femmes politisées qui ont marqué l’Histoire : Vésuviennes, Tricoteuses, Pétroleuses, Vitrioleuses… Dans Penser la violence des femmes, les autrices constatent au Chapitre 21, « La violence des femmes saisie par les mots (…) » que leurs actions sont relayées comme autant d’anecdotes hystériques au détriment du discours politique. Par ailleurs, la sémantique qui entoure ces femmes ainsi que la manière de les nommer leur confère une dimension inquiétante et péjorative.

Ces différentes analyses nous laissent penser que la violence est discréditée dès lors qu’elle vient d’une femme, surnaturelle ou non. L’origine de cette féminité maléfique serait à chercher dans la mythologie gréco-romaine, riche en avatars féminins monstrueux, dont toute une lexicologie négative et une interprétation misogyne a découlé. De la mégère à la furie, en passant par la harpie, les mythes ont à façonné la féminité et toute femme mortelle qui s’essaye à la violence tombe invariablement dans les schémas de ces femmes surnaturelles.

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